S’apprivoiser

Ce matin, en pratiquant tout en écoutant ce que vous expliquiez sur l’énergie, vous avez parlé de cette intention que l’on met d’abord par le regard, puis par le souffle avant d’engager le corps dans la posture. J’ai aimé cela, car cela me ramène à cette expérience unique et forte d’entrer en relation avec nos zones de tensions.

J’aimerais m’attarder aujourd’hui dans ces zones de décontraction ou vous expliquez que l’essentiel du travail consiste non pas à forcer et essayer d’obtenir quelque chose par le contrôle et le pouvoir mais bien par l’acceptation de vivre sa zone de tension. Je trouve que ces zones de tensions sont incroyables, elles méritent que je fasse une grande partie de mon récit tant je les trouve utiles dans un travail de progression par le yoga.

Les zones de tensions.

D’abord, j’aimerais dire que quand on en rencontre une, on le sait tout de suite. C’est une zone devenue rigide comme un gros caillou tout dur. Pour moi, c’est comme de l’énergie agglomérée en boule, et quand on essaie d’aller au-delà, et bien on ressent de la douleur, ou une sensation de brûlure. « Vous ne passerez pas! » Et là, cher Master, vous dites d’orienter l’attention vers l’objectif absolu qui est par exemple d’avoir un jour le front sur le tibia, et de respirer profondément par le ventre, comme les animaux. Ces indications suffisent amplement à vivre l’expérience.

Lorsque je rencontre ma zone de tension, je respire, et j’observe. Je remarque que la boule d’énergie, le nœud, peut doucement s’effriter, et à chaque couche que je reste, à chaque couche de cet oignon qui s’en va, part avec cette couche des larmes de résistances, des peurs, des tensions, des choses qui se libèrent et dont j’ignore les mots et le sens, mais je sens que ce sont des tensions que j’ai lentement agglomérées en un endroit précis du corps, lors de ma rencontre avec le réel du quotidien de ma vie.

En pratique dans le yoga, ces zones sont précieuses car elles m’indiquent le chemin d’une libération possible. Lorsque je respire à l’intérieur, c’est vrai que souvent je ressens un malaise, je peux parfois ressentir les prémisses d’un état grippal, mais c’est normal; ces zones agglomèrent toutes les toxines que le corps n’a pas pu éliminer. Mais dans le yoga, je me sens comme une joueuse avec une manette et je peux régler le volume de l’expérience ; si je recule la douleur diminue, si j’avance elle augmente ; si je reste sur une zone de tension raisonnable, je peux respirer avec profondeur tout en acceptant de relâcher, puis avancer d’encore quelques micromillimètres pour dénouer plus. Je peux vivre une expérience riche et tout à fait tolérable au niveau de la douleur.

L’espace

Ce que j’ai remarqué, c’est que dans le corps, un milliardième de millimètre progressé par le souffle et la décontraction, cela peut être des années de tensions, d’histoire, de poids intense qui peuvent s’en aller d’un coup; comme si l’espace qui sépare chaque millimètre de muscle est si vaste que l’on peut le respirer, le pleurer, et le laisser s’ouvrir pour le parcourir lentement et de façon consciente. On se déplace par la conscience dans un immense palais.

Danse avec les loups

Une image m’est venue pendant ma pratique ce matin ; je pensais au film « danse avec les loups » car j’écoutais le magnifique thème de John Barry. Cela m’a fait penser à la relation que cet homme développe avec ce loup sauvage; tous deux sont des loups solitaires à leur manière, et l’un est attiré par la solitude de l’autre, ils sont les mêmes. Le loup est le plus méfiant des deux. L’homme arrive peu à peu à l’apprivoiser, chaque jour de quelques centimètres, par la présence, l’attention, l’observation, le jeu, jusqu’au jour ou le loup vient chercher la nourriture qu’il lui lance alors qu’il est devant lui. La confiance s’installe lentement. Elle est faite d’à-coups, de tentatives, de découragements, d’espoirs, de re-tentative, de peurs, jusqu’au moment ou la relation – car elle est souhaitée du fond du cœur par les deux parties – s’installe enfin. Et dans ce film, la relation s’installe et c’est une relation d’amitié véritable, établie par la confiance que les parties se sont données. Pour moi, c’est un peu le même travail que nous engageons avec notre corps lorsque nous rencontrons une zone de tension ; nous nous mettons en relation avec un animal sauvage, une boule de peur ; nos résistances. Nous ne connaissons pas ces résistances mais nous en ressentons la limite. Et cette relation demande d’y aller chaque jour, et plutôt que vouloir amadouer par des anti-douleurs une zone comme on voudrait maitriser un loup en le piégeant, il faut laisser à l’espace le temps de jouer son rôle merveilleux ; pas à pas l’un avance vers l’autre ; il suffit d’y aller chaque jour avec une intention claire et bienveillante. Parfois nous allons aller trop loin et le loup va hurler et vouloir nous mordre, alors nous devrons revenir un peu en arrière et attendre avec sagesse, en respirant que l’ouverture se fasse et que l’énergie circule. Puis nous pourrons à nouveau tenter d’avancer de quelques pas. Je ressens sincèrement que l’alchimie qui se passe lorsqu’un nœud se libère et que nous pouvons enfin un peu avancer est quelque chose de mystique puisque la seule chose en notre pouvoir est de faire un morceau du chemin, et que l’autre morceau du chemin, c’est le corps, l’énergie et la vie qui le fait.

Cher Master, vous avez l’équanimité d’un maître qui transmet un art fait de tant de facettes passionnantes. Il y a dans votre yoga les animaux, qui sont autant de manières d’aborder une énergie et une posture, autant de moyens d’expérimenter les bienfaits de l’énergie qui circule en nous, à travers nous et à travers toutes choses.


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To tame

This morning, while practicing while listening to what you were explaining about energy, you spoke about this intention that we put first by the look, then by the breath before engaging the body in posture. I liked this because it brings me back to this unique and strong experience of connecting with our areas of tension.

I would like to write today aboutthese zones of relaxation where you explain that the main part of the work does not consist in forcing and trying to obtain something by control and power, but rather by accepting to live in one’s zone of tension. I find that these areas of tension are incredible, they deserve a large part of my story as I find them useful in a work of progression through yoga.

Areas of tension.

First, I would like to say that when we meet a tension, we know it right away. It is an area that has become rigid like a big hard rock. For me, it’s like energy clumped into a ball, and when you try to go beyond it, well, you feel pain, or a burning sensation. « You will not pass! » And there, dear Master, you say to direct the attention towards the absolute objective which is for example to one day have the forehead on the tibia, and to breathe deeply through the belly, like the animals. These indications are more than enough to live the experience.

When I encounter my zone of tension, I breathe, and I observe. I notice that the ball of energy, the knot, can slowly crumble, and with each layer that I remain, with each layer of this onion that goes away, leaves with this layer tears of resistance, fears, tensions, things that are released and whose words and meaning I don’t know, but I feel that these are tensions that I have slowly agglomerated in a specific part of the body, during my encounter with the reality of the daily life of my life.

In practice in yoga, these areas are precious because they show me the path to possible liberation. When I breathe inside, it’s true that I often feel unwell, I can sometimes feel the beginnings of a flu-like state, but that’s normal; these areas agglomerate all the toxins that the body has not been able to eliminate. But in yoga, I feel like a gamer with a controller and I can adjust the volume of the experience; if I move back the pain decreases, if I move forward it increases; if I stay in a zone of reasonable tension, I can breathe deeply while agreeing to release, then move forward a few more micromillimeters to untie more. I can have a rich and completely tolerable experience.

Space

What I have noticed is that in the body, a billionth of a millimeter progressed by the breath and the relaxation, it can be years of tensions, of history, of intense weight that can come from it. go suddenly; as if the space between each millimeter of muscle is so vast that we can breathe it, cry it, and let it open to go through it slowly and consciously. We move through consciousness in an immense palace.

Dances with Wolves

An image came to me during my practice this morning; I was thinking of the movie « Dances with Wolves » because I was listening to John Barry’s magnificent theme. It made me think about the relationship this man develops with this wild wolf; both are lone wolves in their own way, and one is drawn to the loneliness of the other, they are the same. The wolf is the more suspicious of the two. The man manages to tame it little by little, every day by a few centimeters, by the presence, the attention, the observation, the game, until the day when the wolf comes to look for the food which he then throws at him. that he is in front of him. Trust builds slowly. It is made of jolts, attempts, discouragements, hopes, re-attempts, fears, until the moment when the relationship – because it is desired from the bottom of the heart by both parties – finally install. And in this film, the relationship is established and it is a relationship of true friendship, established by the trust that the parties have given each other. For me, it’s a bit the same work that we engage with our body when we encounter an area of ​​tension; we relate to a wild animal, a ball of fear; our resistance. We do not know these resistances but we feel their limit. And this relationship requires you to go there every day, and rather than wanting to coax an area with painkillers like you would want to control a wolf by trapping it, you have to give space time to play its marvelous role; step by step one advances towards the other; it is enough to go there each day with a clear and benevolent intention. Sometimes we will go too far and the wolf will howl and want to bite us, so we will have to go back a bit and wait wisely, breathing, for the opening to happen and the energy to flow. Then we can again try to move forward a few steps. I sincerely feel that the chemistry that happens when a knot is released and we can finally move forward a little is something mystical since the only thing in our power is to make one part of the path, and the other part of the journey, it is the body, the energy and the life that does it.

In your yoga, dear Master, you have the equanimity of a master who transmits an art made up of so many exciting facets. There are animals in your yoga, which are so many ways of approaching an energy and a posture, so many ways to experience the benefits of the energy that circulates in us, through us. and through all things.

Photo par Milo Weiler