Comprendre la mythologie (Joseph Campbell)

Ici, c’est un coup de coeur et une découverte d’archive que je partage, pour un grand Monsieur du siècle passé dont les propos m’ont parus très actuels; j’ai eu beaucoup de joie à l’écouter et en traduire quelque lignes. L’interview a été enregistré en 1987.

« Les mythologies donnent le sens spirituel – que certains nomment le sens psychologique intérieur – du monde de la nature, celui dont nous avons établi le contour et que nous comprenons aujourd’hui. Il n’y pas de réel conflit entre la science et la religion; la religion est la reconnaissance des dimensions profondes que la science nous révèle. Ce qui est en conflit c’est la science d’il y a deux mille ans av. J.-C. – qui est ce que vous avez dans la bible – et la science du 20ème siècle apr. J.-C. L’image mythique de ce passé ne fonctionne pas avec notre esprit contemporain, donc elle ne peut aller avec notre corps contemporain : Il faut traduire ces choses dans la vie contemporaine et son expérience.« 

Joseph Campbell
(1904-1987) était un auteur et enseignant américain, surtout connu pour ses travaux en mythologie comparée.

Interview de Joseph Campbell  enregistré en février 1987, interview de l’émission « Thinking Allowed » – Source : https://www.youtube.com/watch?v=aL0V1MsOeFM&t=90s

Journaliste :

Dans votre approche de la méthodologie, vous expliquez que toutes les expériences humaines proviennent du corps. Cela contredit les idées précédentes arguant que les choses proviennent de notre fantaisie ou de notre imagination…

Joseph Campbell :

La fantaisie et l’imagination sont le produit du corps. L’énergie qui donne force à la fantaisie nous vient des organes du corps. Les organes du corps sont la source de notre vie, et de notre intention pour la vie. Et ils sont en conflits les uns avec les autres. Parmi ces organes il y a a bien sur le cerveau et vous devez penser à ces nombreux processus qui dominent nos systèmes vitaux ; ils concernent les impulsions érotiques qui nous poussant à conquérir, la préservation de notre existence, et puis certains idéaux qui sont placés devant nous comme des objectifs qui valent la peine d’être poursuivis et qui donnent sa valeur à l’existence. Et donc toutes ces forces arrivent à se contredire en nous. Et la fonction de l’imagerie mythologique est de les harmoniser, coordonner les énergies de notre corps, ainsi nous vivrons en harmonie une vie fructueuse en accord avec notre société et le nouveau mystère qui émerge avec chaque être humain, demandant quelles sont les possibilités de cette vie humaine particulière.

Et la mythologie doit premièrement nous guider en relation avec la société et l’ensemble du règne du vivant, qui se trouve à l’extérieur de nous, mais également en nous puisque les organes de notre corps font partie de ce règne. Et puis alors l’orientation de l’individu au travers ces inévitables états de la vie depuis la naissance à l’âge adulte puis jusqu’à la dernière porte ; le sujet porte sur ces choses.

Journaliste :

Donc le sens derrière chaque fantaisie, derrière chaque histoire mythologique, il y a une sorte de vérité plus profonde à propos de la vie ?

Joseph Campbell :

Et bien oui, une mythologie ce n’est pas juste la fantaisie d’une autre personne, c’est une organisation systémique de fantaisies en lien avec les valeurs d’un ordre social, donc les mythologies dérivent toujours d’un environnement social spécifique. Et quand vous réalisez que toutes les civilisations anciennes étaient basées sur une mythologie, vous commencez à réaliser la force de ce grand grand héritage que nous avons.

Journaliste :

Vous relevez dans votre plus récent livre que nous arrivons dans notre période du temps ou notre société devient globale que nous ne pouvons plus nous penser nous-mêmes comme un groupe de tribus en compétitions.

Joseph Campbell :

C’est un problème crucial aujourd’hui. Chaque mythologie, et par mythologie j’inclus les religions ; chaque religion a grandi avec un certain ordre social, et aujourd’hui cet ordre social est entré en collision avec les autres, il suffit de regarder ce qui se passe dans l’est maintenant et c’est une horreur, ou les trois plus grands religions monothéistes du monde créent des ravages. Je suis allé à Beyrouth; c’était l’une des plus glorieuse, belle et chérie petite ville et maintenant c’est juste l’enfer, parce que chacune de ces unités de religion pense détenir toutes les valeurs avec elle et on ne sait pas comment ouvrir cela pour reconnaitre que dans les autres ce sont également des êtres humains.

Journaliste :

Leur Dieu particulier est leur seul Dieu mais aussi l’ »Unique »…

Joseph Campbell :

Ils lui ont donné trois noms vous savez, vous avez le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, ils sont tous sortis de la même boîte, ils ne peuvent s’entendre ensemble.

Journaliste :

Alors que suggérez-vous, il y a beaucoup de conflits sociaux résultant de l’échec des leaders de ces communautés à vraiment comprendre le rôle de leurs mythologies ?

Joseph Campbell :

Le rôle de leurs mythologies a été de soutenir leur société et ils trainent là-dedans, je pense qu’on pourrait dire qu’il y a deux principaux types de mythologies ; il y a les mythologies du type des traditions bibliques dont le rôle est de coordonner l’individu dans le groupe ; il est un membre de ce groupe. Il est baptisé, ou circoncis ou quoi que ce soit d’autre, à l’intérieur de ce groupe et c’est là son royaume de compassion et de sympathie et il projette les agressions en dehors de ce groupe. Et il y a une autre sorte de religion qui grandit dans notre vie émotionnelle dans l’ordre naturel – nous sommes des êtres de la nature après tout et non pas des membres d’une société en premier – et certaines religions comme les Dyonésiens de la Grèce antique et dans l’Hindouisme –s’en est très chargé – et toutes les religions que vous devez faire en méditant qui nous viennent d’orient …

Journaliste :

Je suppose également les traditions chamaniques ?

Joseph Campbell :

Cela également, mais la chose principale pour les gens aujourd’hui sont ces religions de contemplation et de méditation permettant de reconnaître en soi les pouvoirs qui sont ceux de Dieu, vous savez, tous les Dieux sont justes de simples projections des potentialités humaines, ils ne sont pas là-bas, ils sont ici, le mot disant que le Dieu du ciel est eu vous est un bon mot et qui est au paradis ? Dieu. Alors ou est-il ? Regarde ici (dedans). Vous avez deux sortes de religions, celles qui s’adressent à l’extérieur et les autres qui se tournent au-dedans, ici.

Journaliste :

J’ai noté malgré tout qu’il semble qu’il y ait des frontières de plus en plus floues dans notre monde, comme par exemple la télévision évangéliste qui semble toujours parler du Dieu qui parle au-dedans de nous.

Joseph Campbell :

Je n’ai jamais entendu cela et ce n’est pas ce que j’avais entendu quand je les avais écouté.  Je les ai entendu dire « c’est dans ce livre », vous savez le gros livre noir, c’est certainement à l’intérieur, mais pas dans le langage qui dit que c’est seulement pour ce groupe ou dans ce groupe. Je me suis intéressé tout au long de ma vie à ce qu’on appelle la mythologie comparative et quand vous voyez ce que ces gens là ont dit dans cette langue et ce que ces gens là ont dit dans cette langue et qu’ils se mélangent simplement parce que leurs langages sont différents, vous voyez… si vous allez dans une boulangerie et que vous dites que vous voulez « Bread » ils vont vous dire qu’ils n’ont pas cela. Mais si vous demandez du pain – et c’est ce qu’ils ont – et bien c’est la même chose, cela se passe entre les lignes. 

Je pense qu’on peut dire que le premier grand exemple est le contraste – et les affinités – entre le Bouddhisme et le Christianisme. L’idée Bouddhiste de la conscience que tous les êtres humains sont des êtres en devenir de l’état de Bouddha et toute votre fonction dans la méditation et tout le reste est de trouver cette conscience Bouddhiste en soi et de vivre à partir de cela plutôt que dans l’intérêt de ce qu’on voit ou qu’on entend – vous comprenez ce que j’entends ? – ces choses nous distraient de notre véritable état d’être profond et de notre but, et le but de la méditation est de trouver cela en soi et alors laisser à cette partie prendre le contrôle. Traduit en Christianité, c’est de trouver le Christ en soi et c’est exactement la même idée, et ici ils l’appellent la conscience Christique et là ils la nomment la conscience Bouddhique.

Là où les deux idées sont tout à fait en contraste réside dans le fait que l’imagerie Bouddhiste se concentre sur les aspects pacifiques – vous savez, avoir trouvé la paix et la sérénité en cela – là ou le Chrétien avec le Christ coupé crucifié se concentre sur l’attitude héroïque de vivre une vie qui vous déchire et de trouver le Dieu au milieu de la tourmente du monde. Il y a aussi dans le Bouddhisme, cette idée du Bodhi Sattva ; celui qui a trouvé l’Éternel à l’intérieur de lui et le reconnaît dans le monde, ils ont un terme magnifique :  « participation joyeuse aux chagrins du monde ». Vous acceptez les chagrins pour vous-même et pour le monde dans la réalisation de ce qu’est la radiance qu’une vie bien vécue peut offrir. Ce sont les mêmes choses ; l’un dans ce qu’on pourrait appeler les aspects tragiques et l’autre dans les aspects de l’accomplissement serein.

Journaliste :

Ce serait comme si donner de l’attention aux mythes dans ce sens fait ressortir beaucoup d’émotions profondes et subtiles que nous n’osons pas autrement..

Joseph Campbell :

Oh écoutez la manière dont ça frappe profondément, vous le voyez partout ; j’ai enseigné dans un collège durant 38 ans et c’était mon sujet et j’ai vu ce que ça fait, les étudiants venaient avec leur religion et là vous leur apprenez ce que disent réellement les religions et mec, quelque chose se passe !

Journaliste :

Dans vortre livre le plus récent «the inner reaches of outer space » vous semblez suggérer que toute notre science, toute notre astronomie ce sont nos mythes modernes et que cela aussi existe en nous, l’univers entier.

Joseph Campbell :

Je dirais que toute nos sciences sont le matériel qui a à être mythologisé. Les mythologies donnent le sens spirituel que certains nomment le sens psychologique intérieur du monde de la nature dont nous avons fait le tour et que nous comprenons aujourd’hui. Il n’y pas de réel conflit entre la science et la religion. La religion est la reconnaissance des dimensions profondes que la science nous révèle. Ce qui est en conflit c’est la science d’il y a deux mille ans av. J.-C. – qui est ce que vous avez dans la bible – et la science du 20ème siècle apr. J.-C., il faut dissocier les messages de la bible de sa science. Le thème qui me revient constamment dans la religion Catholique Romaine est le dogme que Jésus est revenu de la mort et a ascensionné avec son corps au paradis et que sa mère Marie, endormie, a ascensionné au paradis. Ok ?

Journaliste :

J’ai vu cela dans les émissions de télévisions, ils le montrent, montant vers le ciel …

Joseph Campbell :

Oui. Et vous savez qu’en allant a à la vitesse de la lumière ils ne seraient pas encore hors de la galaxie. Et vous savez ce que cela signifie pour notre corps physique d’aller dans la stratosphère. L’image mythique ne fonctionne pas avec notre esprit contemporain donc ce message ne peut aller avec notre corps contemporain. Il faut traduire ces choses dans la vie contemporaine et son expérience. La mythologie est la validation de l’expérience. Lui donner sa dimension spirituelle ou psychologique et si vous avez plein de choses que vous ne pouvez corréler avec la nature contemporaine, vous ne pouvez pas les saisir.

Journaliste :

Et je suppose qu’un des premiers endroits où aller avec la science moderne est l’idée que Dieu et le paradis sont quelque part en dehors de l’espace ?

Joseph Campbell :
Elles n’y sont bien entendu pas. J’entends par là que vous avez compris que maintenant il y a des centaines et des centaines de galaxies et des clusters de galaxies et ainsi de suite, et certaines galaxies sont aussi vastes que notre voie lactée entière, avec notre soleil dans sa périphérie et .. mon Dieu, vous savez, et donc Dieu est particulier et particulièrement celui qui a pensé tout cela et bien sur ce n’est pas celui qui est dans la bible parce que toutes ces pensées étaient de l’épaisseur de 3 gâteaux d’anniversaires.


Extraits traduits à partir de la vidéo : Marie-Fleur Stalder
Image : Plafond pour l’Opéra de Paris, détail, Marc Chagall, 1963-1964

Retour en haut