de jolies petites filles

Ah j’aime contempler le monde. Il regorge de merveilles. Il suffit de regarder ce qui se trouve juste là . Et aujourd’hui j’ai assisté à une scène très jolie, ça n’arrive pas si souvent. Je veux dire, de se trouver au coeur d’un grand moment extra-ordinaire. Et là, je me suis retrouvée littéralement au centre d’une histoire dont je fus témoin émue et silencieuse.

Donc, pour le contexte, j’étais au salon de coiffure. C’est souvent dans les endroits les plus anodins que les choses les plus jolies se déroulent. Avec à ma gauche une fillette d’environ 7 ans assise sur le gros siège du coiffeur sur lequel était posé un gros coussin pour que sa tête dépasse du dossier. Et à ma droite, une autre fillette encore plus petite et tout aussi sagement assise sur la pile de coussin de son siège. Elles étaient belles ces fillettes. Pakistan. Ou Inde. On quelque part par là-bas. De longs cheveux noirs leurs coulaient sur le dos et elles avaient des visages magnifiques cerclés par des yeux noirs d’une intensité merveilleuse.

Au début je n’ai rien vu, à part deux petits cœurs silencieux et sages. Et puis le temps à commencé à faire son affaire et comme le jeu des miroirs du lieu m’aidait à contempler la scène sans bouger un oeil, j’ai pu observer.

Laissez-moi vous raconter:

D’abord, il y a les petites filles assises sagement. Puis, il y a le temps qui se déroule, comme suspendu au silence ou une rencontre est permise, voir encouragée ; celle de leur propre regard dans le miroir. Il y a dans leur visages une gravité concentrée d’un petit qui découvre quelque chose d’extra-ordinaire ; soi-même. Sa beauté. Ses yeux. Son image. Alors elles étaient absorbées, l’une et l’autre semblant étonnées et s’amuser de cette autre soi dans la glace. Mais était-ce la première fois chez le coiffeur? Et puis, il y a eu cette ombre qui passait dans les yeux de la plus grande, surgissant de nulle part et racontant quelque chose d’impossible à voir dans les yeux d’une si petite fille.

Ensuite, il y a eu cette dame d’un certain âge qui passa plusieurs fois auprès des fillettes, sans inquiétude. Elle semblait avoir soixante ans et être sortie de chez elle à toute vitesse. Je ne sais pas comment dire autrement mais pour moi, elle avait l’allure d’une jeune fille radieuse en train d’exulter de faire une grosse bêtise. Sa joie circulait de ses yeux aux yeux des petites filles, une joie légère, murmurée, et surtout, une joie infiniment libre. Elle semblait aussi très décidée sur ce qu’elle désirait pour ses petites: couper un peu, une frange, un brushing au fer. La coiffeuse s’inquiètant que cela abime les jolis cheveux mais elle, restant intraitable : brushing au fer.

Pendant que la scène se déroule, je remarque les visages des fillettes s’éclairer d’une joie rayonnante: La maman arrive. Une petite femme de la trentaine, souriante et fortement voilée, parlant fort, gesticulant et riant, venant à la rencontre de la vielle dame. Le temps qu’elle raconte son histoire, ses yeux font un bilan du lieu et son regard s’assombrit. Bien qu’elle essaie de dissimuler son émotion je vois les yeux de la plus grande des fillette devenir sombres et inquiets. Les deux dames s’éloignent un peu pour discuter et au bout d’un moment, la grand-mère revient superviser avec sérieux l’œuvre demandée aux coiffeuses. On dirait une maître d’ouvrage avec une baguette à la main; elle ne veut rien laisser au hasard, les fillettes auront la totale. La fille – ou belle-fille – reste en retrait dans une sorte d’inquiétude paniquée de silence, soumise à cette grand-mère et ses libertés, mais son regard tournoie avec une sorte de terreur inquiète vers la coiffeuse qui termine le brushing au fer de la plus petite, qui elle semble être aux anges.

Je suis aux premières loges pour observer cette bêtise parfaite, ce culot tout droit sorti d’une prison de voiles que l’ancienne donne en éducation à celles qui la suivent. Le droit de s’aimer. De se voir.

Le brushing de la petite terminé, elle saute de sa chaise sans attendre que la coiffeuse l’y aide. Haute comme trois pommes, elle tend son visage vers le miroir et se jette au passage un dernier coup d’œil rempli de satisfaction et de joie pour cette si jolie petite fille qu’elle voit. Et moi je vois les yeux de la grand-mère éblouie par sa petite fille à cet instant là; il y règne un apaisement profond et sincère, un accomplissement et de la joie.

Il y a des fois ou la vie vous met dans la confidence de quelque chose. Elle vous dit : regarde, regarde bien.


Image : Rohit Dey 

Retour en haut