Dans la chaleur moite et tiède de ce 31 mai, je me suis penchée dehors pour contempler les cieux de cette fin de jour. Je rentrais un peu fatiguée. Le ciel était noueux comme un vieil arbre, d’un bleu s’emmêlant au blanc-gris. Des nuages fantastiques, sculptures vertigineuses montaient en forme sensuelles vers la lune. Libérés par des peupliers, des morceaux de ouates en apesanteur se laissaient tous bercer en rythme, dansant gracieusement dans l’air chaud et nerveux, portés par une mer vibrante et orageuse.
Une mère vibrante comme la terre.
J’aime les orages : ils rincent la vie jusqu’aux os.
Aujourd’hui, j’étais un peu triste dans le grand cirque de la vie. Faites entrez les éléphants, qu’on applaudisse. Ou les tortues. Enfin, faites entrer ceux qui vivent si longuement, oui: ouvrez le rideau. Bien large. Vous y verrez cette petite réception endormie au cœur d’une maison immense. Un dédale ou je suis assise pour recueillir du pain. Et juste devant ce desk, un ballet d’humanité ample et lent se dévoile à mes yeux. Je crois qu’il y a deux cent millions d’années qu’ils sont là, petits pas après petits pas, petites histoires après petites existences, à être venu ici pour enfin soupirer un peu de repos.
Les chats et les oiseaux n’y peuvent rien ; ils meurent et renaissent avant tout le monde, et pendant ce temps c’est comme ça. Ici, on pousse des portes, on ouvre des ascenseurs. On entend le son du pas qui glisse sur le sol. On pousse des roues qui nous retiennent ou que l’on retient. On oblitère des souvenirs et on avance comme ça sans trop aller nulle part, une fois « que le reste est accompli ». On est dans la grande salle d’attente ou le temps continue d’avancer mais doucement… et le souffle est si court.
Être né en 1925. « Mais ça fait quoi, bon dieu, d’avoir cent ans ? » Elle demande.
C’est vrai : ça ne rigole pas. Ça fait comme sept cent ans en vie de chats j’ai envie de rajouter maintenant. Cent ans qu’il est là, à voir le film. Alors elle dit : « que pourriez vous me dire ? » Et moi qui ne peut que multiplier par deux mes heures de vol pour arriver aux siennes. Ses doigts de 700 années – en années de chats – effleurent le formica du desk, hésitent un peu, tapotent du coin de l’ongle. Sa bouche s’entrouvre mais reste silencieuse, son regard se fixe dans un flou pudique, intelligent. Etre en vie à 100 ans, avec des yeux gris-bleu comme le ciel. Et des manières claires disant juste ne pouvoir répondre à une si vaste et intime question.