En ce moment, Jean Tinguely est à l’honneur à Genève, au musée Rath. Passant par là et la porte étant ouverte, je me suis glissée dans ce musée si accueillant pour découvrir la collection présentée sur cet artiste que j’affectionne particulièrement.
#museerath #expositiongeneve #Rathgeneve #tinguely #expositiongeneve #jeantinguely #art #sculpture @autourdunefleur
D’abord, j’ai entendu des grincements provenant d’une autre salle, comme des mélodies de métal rauques et chaudes. Trois notes faisant vibrer l’espace.
Entrant dans la première salle, il y avait cette machinerie géante faite de cylindres, de disques et de roues tournant de façon mécanique, chacun entrainant son cortège de conséquences dans une danse amusante et fascinante pour les yeux. Tantôt un caddie avance et recule sur des roulettes, tantôt une porte de machine à laver se met à tourner, actionnant une tige de bois. Et j’en passe tant il y en a. Tout ces systèmes complexes allant et venant dans un rythme cadencé effrontément improductif.

Si les œuvres prennent l’apparence d’automates – ma fois forts éloignés de ceux de nos montagnes – on trouve chez Jean Tinguely une savoureuse insoumission à toute idée de fabriquer quelque chose de confortablement explicable. Chez lui, c’est le moment ou nous restons là, à contempler ce qui se déroule; l’oeil s’attarde, happé par le temps qui breloque fortement, qui semble partir en vrille et se rafistole avec des bouts de rien. L’artiste s’inquiète peu de la façon dont ses pièces sont attachées, utilisant ce qui lui tombe « parfaitement » sous la main. Et c’est le jeu du hasard. C’est son jeu. Il prend ce qui vient, et il le rajoute à ce qui est. Il rafistole ce qui sert à rafistoler, il assemble ce qui sert à s’assembler, il fait tenir de bric et de broc ces usines vibrantes en nous émerveillant que ces riens puissent faire tenir la magie du hasard des mécaniques du temps. Et ces œuvres rattachées par ces bouts de rien semblent durables et fragiles, comme le fil de nos existences.
Je trouve fascinant de penser que ces artistes étaient surtout des chercheurs passionnés et têtus, les mains dans le cambouis de leurs rêves ou de leurs obsessions. Des œuvres remplissant des dépôts et qu’ils peinaient à défendre, à présenter ou à vendre. Et que dire des esquisses pour eux sans valeur, papiers gribouillés sur des coins de tables et qui maintenant sont sous cadre dans nos musées ?
Aujourd’hui ce sont les enfants de nos villes qui actionnent avec frénésie les petits boutons rêvés puis fabriqués par ces êtres libres et/ou libérés.
Nous avons attendu qu’il soit l’heure et que le temps de la mécanique se mette en marche. Car l’électricité est nécessaire pour faire vibrer, ronfler, siffler, tourner et tintamarrer les œuvres de Monsieur Tinguely ; elles sont éclatantes et valent le détour. J’aurais aimé voir frétiller dans l’espace la jolie femme à barbe-balais mais j’ai attendu, attendu et elle n’est jamais venue, laï laï laï laï.. Peut-être a-t-elle démarré sa danse au moment même où je suis sortie, qui sait ?

Je sortais d’un atelier d’aquarelle. J’y avais étudié l’art de ne pas se plonger dans des détails inutiles pour laisser de l’espace et suggérer quelque chose par l’absence et non le surplus. Cela m’a ramenée à des pensées taoïstes d’une grande sagesse. Mais parfois quand on dessine, c’est l’inverse qui nous vient; on détaille nos idées dans des dessins chargés et riches, lumineux et expressifs. Comme les dessins de Jean Tinguely. Et je me dis que peut-être parfois, avant d’accéder au silence, nous pouvons avoir envie de rencontrer les mécanismes et les labyrinthes de notre âme d’enfant et que comme lui, on désire y dialoguer avec une sorte de génie amusé. Ceci permettant aussi parfois de s’oublier. Reste que les deux écoles sont belles et qu’elles peuvent se marier et s’entrecroiser selon l’humeur, l’humour, et le temps.
Et le temps Monsieur Tinguely, c’est la plus jolie de vos histoires.

Musée Rath Genève – du 22 mai au 7 septembre 2025
* Une idée totalement excellente de retouche du titre de cet article m’a été, en toute délicatesse, soufflée, grand merci ! (Titre d’origine : L’homme qui ne roulait pas des mécaniques)