un moment rare dans le tohu-bohu de la ville

D’accord, me direz-vous… ou vous ne me direz rien du tout. Mais si vous me diriez quelque chose, vous me diriez : « d’accord, mais qu’est-ce qu’une Jurassienne peut nous raconter à nous, Genevois, sur la rue de Carouge ?? » Et bien justement, je leur répondrais : Si si, justement. J’ai plein de trucs à dire.

D’abord que c’est un peu ma rue aussi, ein, bon, quand même au bout de plus de trente ans j’ai pris le coup, mon accent Jurassien s’est endormi lentement, avalé par tous les accents multiples et riches de cette ville multiculturelle. Et je ne me suis pas endormie sur mes lauriers, non ; j’ai appris à contempler depuis ce coin de quartier, et plus qu’il ne m’est permis. Parce que Plainpalais grouille, déborde, chante, gazouille d’une vie de partout riche en contrastes, en nationalités et en histoires. Et aussi, ce sont ses commerces qui la font briller ; ils sont là au pied de nos immeubles locatifs, à nous servir du café, du pain, du beurre et des frites. Et j’en passe. Nous sommes envahis de libraires merveilleux et Dieu merci, et de petites arcades qui poussent comme des champignons, ouvertes par de jeunes idéalistes. Par exemple il y a une cordonnière maintenant à Plainpalais.

Et puis il y a la fameuse rue de Carouge. C’est d’elle dont je voulais vous parler ce matin. Elle; la jolie et bruyante rue de Carouge, ou le tram passe à fond les turbines, ou les cyclistes s’engouffrent entre deux rames et les piétons prudents marchent sur les trottoirs attenants. De coutume la rue grouille de bruits de toute sorte, cassant d’une cacophonie habituelle mes deux oreilles. Mais je dois dire qu’en ce moment, quelque chose de très spécial se déroule. Outre les allures de guerre du Kosovo, la rue de Carouge vient d’être dénudée de sa vieille parure de béton, laissant apparaître à ciel ouvert les vieilles canalisations, et un amoncellement de pierres-reliques d’un temps qui n’a vu la lumière du jour depuis belle lurette.

Ce que je veux dire, c’est que la rue est détruite pour la bonne cause qui va venir. Et aujourd’hui, entre deux eaux: Plus de tram. Plus de voiture. Que des marteaux piqueurs géants plus hauts que le 1er étages des immeubles qui frappent le béton en faisant trembler la rue et ses habitants. Ils extirpent du sol ce qui reste des traces d’une vie qu’il y a deux mois encore nous trouvions normale. Ici plus rien n’est normal. Certains habitants fuient la rue tant la violence du bruit, des poussières malgré les jets d’eau incessants finit par s’immiscer partout. Mais que voulez-vous ; c’est le prix du progrès. D’ailleurs je vous laisse vous plonger dans le projet fourni par la ville, ci-dessous, qui me donne envie d’être gentille parce qu’après ce sera vraiment bien.

Et donc.
Ce matin je me suis promenée sur la rue de Carouge et une chose assez merveilleuse – et qui restera très rare dans les anales de la rue – s’est produite. C’était l’heure de la pause. Tous les ouvriers avaient disparus allez savoir où. Comme la rue est coupée et qu’il n’y a plus ni tram ni voitures, plus rien n’existe qu’un chantier de pierres et de pelles mécaniques. Mais ces grosses machines s’étaient curieusement, toutes, endormies. Et là, sur plusieurs centaines de mètres, c’était le silence. Je sais pas comment vous dire; une sorte de miracle ou on sent que le temps est arrêté. Le genre de chose que je n’observe jamais sur cette rue : du calme: Plus calme qu’avant et plus calme que dans deux heures aussi. Un calme venu tout droit d’un autre temps. Et là j’ai entendu que ce n’est pas les habitants qui font tout ce tintamarre d’habitude, non; eux ils marchent presque sur la pointe des pieds. Parce que oui, j’entendais pour la première fois de ma vie sur cette rue et si distinctement: les rires, les pas, le silence, et presque le murmure des abeilles s’il y en a. C’était comme un petit miracle.

Et ce silence, c’était un moment rare au milieu du « bordel » sans nom qui hante en ce moment mon joli quartier.

Vive Plainpalais.

Réaménagement de la rue de Carouge: https://www.geneve.ch/document/seance-information-carouge-presentation-2025-ville-geneve
Source de l’image : https://www.bge-geneve.ch/iconographie/oeuvre/jds-01-vgepl-201

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut