Il existe, dans les grandes traditions asiatiques une dévotion particulière apportée aux ancêtres, à ceux qui ont précédé, qui étaient là avant. Cette tradition sous-entend le souvenir de ces personnes, ces êtres qui ont vécu avant nous et qui avaient une forme de sagesse, acquise au fil du temps. De même, dans les populations africaines, le vieux est considéré comme un sage, un « sachant » ayant accumulé au cours de son existence une sagesse digne d’être respectée et écoutée, entendue. Amadou Hampâté Bâ a dit d’ailleurs que chez eux que lorsqu’un vieux s’en va, c’est une bibliothèque qui brûle, d’autant que leur connaissance et sa transmission est pour la plupart du temps orale. Chez nous, il existe une forme de révérence aux sachants, à ceux qui ont acquis la connaissance avant nous, et que nous reconnaissons en faisant référence aux travaux de celui-ci ou de celle là lorsque l’on écrit une thèse par exemple. On rend hommage et on appuie nos dires sur les dires d’un plus sage, d’un ancien.
Et puis, dans notre monde moderne et en dehors des études académiques, on reçoit, on accède aujourd’hui aussi à toutes les connaissances qu’avant seule une élite lettrée et érudite pouvait connaître. Nous pouvons donc, en quelques clics, en quelques inscriptions, en quelques paiements, accéder aux plus grands formations de notre monde, et bénéficier du savoir et de la sagesse de nos anciens (ces « anciens » étant la plupart du temps des êtres encore bien vivants et bien campés sur leurs bonnes jambes !).
Si les coutumes sont usantes pour ce qu’elles transportent de lourd, d’obligatoire, de contraignant et d’usuel, elles ont l’intelligence de relier le sachant et son savoir à l’apprenant, dans une forme de respect traditionnel permettant à celui qui écoute de savoir que ce qu’il reçoit est quelque part, sacré, et inscrit dans l’expérience et la sagesse. C’est comme un socle, une base.
Nous avons besoin d’un certain temps pour repérer, dans la masse des informations aujourd’hui, une nourriture intellectuelle bonne pour nous de toutes les nourritures que l’on nous tend sous le nez, car oui, il faut bien le dire, la nourriture est abondante, mais cela n’en fait pas une nourriture qui nous convient forcément. Ainsi, au fil du temps et des années, la première sagesse actuelle que nous puissions acquérir est bien celle-là : boire à la fontaine qui nous désaltère réellement. Et lorsque je parle de se désaltérer ou choisir des nourritures qui soient nôtres, je parle de satisfaire un besoin viscéral car en nous a germé une vraie question.
De cette question, qui ressemble à un chant, à une mélopée n’ayant pas forcément de mots, de précisions en elle-même, de cette question même nait la direction de notre propre recherche d’un savoir, d’une forme de réponse.
J’aimerais donc ici poser ce point qui me semble lacunaire dans notre monde moderne, civilisé, relié, nourri avec abondance de liens internet, de vidéos, de blogs et j’en passe. Chacun a son mot à dire, chacun y va de son savoir, de son expérience, de ses connaissances, mais peu ont la pensée même de rendre hommage à ceux qui les ont inspiré, peu on l’idée même de parler de ceux qui ont fait germer en eux la graine de question qui les a fait grandir. Je pense que c’est dommage, parce que cela pourrait porter à confusion, et faire penser qu’on se fait soi-même, hors nous le savons, nous sommes le fruit de toutes les interactions, bonnes et douloureuses, qui ont croisé notre chemin. Nous sommes le fruit de cette macération de notre personne au milieu des autres. Et de ces autres, certains semblent se distinguer pour nous, comme des points mystiques reliant les fils imaginaires de notre existence entre eux, et ces points mystiques, ce sont ces êtres qui ont arrosé nos graines au moment ou nous avions de vraies questions.
Puissions-nous avoir l’humilité de les reconnaître, de les remercier intérieurement souvent, de les savoir exister dans notre pensée et notre chemin comme des liens vitaux, indispensables et indéfectibles à notre progression. Et bien souvent, si l’on regarde vraiment avec honnêteté, ces personnes ne nous ont jamais rien demandé, ne nous ont rien demandé pour ce cadeau qu’elles nous ont fait un jour. C’est leur présence à elles-mêmes qui a nous illuminé nous-mêmes.
Article écrit le 26 mars 2023 par Marie (autourdunefleur.ch)
Photo par Kazuo ota